Dans cet ensemble d’œuvres réalisées au milieu des années 1990, Fabrice Gygi explore les mécanismes du pouvoir et de la contrainte à travers des dispositifs simples mais porteurs de tensions. Le mégaphone, objet emblématique de la parole publique et des mouvements de contestation, y occupe une place récurrente — tantôt activé, tantôt silencieux, il devient le vecteur paradoxal d’une voix amplifiée mais contrôlée.
Fabrice Gygi poursuit ici son exploration critique des infrastructures d’autorité : grilles, podiums, haut-parleurs, bâches… Autant d’éléments issus de l’espace public qu’il reconfigure pour en révéler la charge symbolique et politique. Ses œuvres, souvent minimales et modulables, interrogent la manière dont nos corps et nos comportements sont façonnés par des dispositifs d’apparence neutre, mais profondément liés aux logiques d’ordre et de pouvoir.
Vidéo, 10', monobande, Vidéo VHS, PAL, couleur, stéréo
Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC) - Fonds André Iten
Cette vidéo montre une performance créée lors de l'exposition collective Performance Index dans l’ancienne brasserie Warteck de Bâle. Fabrice Gygi apparaît attaché à une structure qui le force à rester debout, droit — «Always Upright». Deux mégaphones fixés sur son dos, diffusent France Info, la radio d’information en continu emblématique des années 1990.
[...] La performance a duré approximativement une demi-heure. Le public avait été invité à se répartir dans une salle vide, à l'exception de câbles tendus de part et d'autre. J'avais disposé sur ceux-ci de petits drapeaux afin que personne ne se blesse. Je suis alors entré. Sauf erreur, j'ai commencé par retirer les fanions, comme il en va d'une mesure de sécurité préliminaire. Je me suis alors placé à hauteur des câbles, je les ai décroché un à un et les ai fait passer dans mes oreilles. J'avais au préalable branché une radio à ses derniers, un peu comme on relie des enceintes à une chaine stéréo. Les fils de haut-parleurs passaient de la radio à mes lobes, eux-même munis d'oeillets de métal sur lesquels étaient soudés des fils connectés à un amplificateur, Je faisais donc office de haut-parleur, alors que le câble fonctionnait comme une antenne.
Permettait-il de capter une station radio ?
Oui, j'étais branché sur une station de radio ! La retransmission était très claire. Mais, comme je me déplaçais egt que le câble faisait office d'antenne, il y avait à certains moments un cumul de différentes ondes radio créant des perturbations. On passait ainsi sans cesse d'un message clair à un message brouillé. Le son était assez fort et mes déplacements plutôt lents. J'avançais, puis reculais, et ainsi de suite. En fin de compte, j'ai dû faire plusieurs allers-retours, un peu comme un prisonnier tournant autour de sa chaîne. [...]
Christophe Cherix, conversation avec Fabrice Gygi, tiré de Fabrice Gygi, 2007, Ed. JRP Ringier (extrait)
Installation sonore, métal, bois, toile de tente, mousse, élastiques, sac à dos avec mégaphones
Collection Kunstmuseum Berne (donation Stiftung Kunst Heute, 2003)
Cette installation, composée d’une structure métallique recouverte d’une bâche en PVC tendue, évoque les architectures temporaires que l’on retrouve dans les zones de crise, de surveillance ou d’attente : postes de contrôle, stands, abris de fortune… Privée de fonction explicite, elle flotte entre fiction et réalité, entre neutralité apparente et connotations politiques fortes. Un mégaphone diffuse le son de la rue, capté depuis la chambre d’hôtel de l’artiste lors de son séjour au Caire — un geste à la fois intime et public, ancré dans le contexte social et urbain. Présentée à la Biennale du Caire en 1996, l’œuvre a reçu le deuxième prix, soulignant sa portée universelle et sa résonance politique discrète mais puissante.
Installation, barrière, bâche, mégaphones, gyrophare et veste de chantier
Kunstmuseum Saint-Gall | Collection de la Confédération suisse, Office fédéral de la culture, Berne
Road Block est une installation composée d’une barrière métallique utilisée dans les manifestations publiques à laquelle sont accrochés divers objets dont une veste de sécurité orange à bandes réfléchissantes, un gyrophare et trois mégaphones silencieux. Cette œuvre s’inscrit dans la série d’installations de Fabrice Gygi qui explorent les instruments de régulation sociale et de contrôle de l’espace public.
Installation, métal, bâche, courroies, deux pneus, système sonore, cassette
Dimensions: 95 x 110 x 100 cm
Collection du Fonds d'art contemporain de la Ville de Genève (FMAC)
L’œuvre s’inscrit dans la pratique artistique de Fabrice Gygi à la fin des années 1990, à une époque où il explore des dispositifs liés à l’espace public, à la protestation et à la mobilité. Ce « sound system » monté sur un chariot rappelle à la fois l’esthétique du matériel de manif’ et celle des équipements techniques utilisés dans les lieux alternatifs ou les free parties. Gygi détourne ici les objets de la logistique urbaine et de la surveillance pour en faire des sculptures ambiguës, oscillant entre l’outil de contrôle et l’instrument d’émancipation. Cette oeuvre peut être présentée avec ou sans son.
Né en 1965
Basé à Genève
Fabrice Gygi a débuté par la performance radicale avant de se tourner vers la sculpture, l’installation, la gravure et la peinture. Son travail met en lumière les mécanismes de pouvoir à travers des objets inspirés de l’espace public : tentes, tribunes, barrières ou mâts, souvent réalisés en acier, bois ou bâche PVC. Ces formes, d’apparence fonctionnelle, révèlent une tension entre utilité et menace, questionnant l’ordre établi. Son œuvre, à la fois politique et formellement rigoureuse, explore les formes d’autorité dans leur banalité quotidienne. Il a aussi exploré d’autres formats, réalisant des bijoux, des linogravures ou des aquarelles.